La Révolution prépare la Révolution industrielle
La période révolutionnaire fut un moment d’aspiration à une reconnaissance politique plus importante de Saint-Etienne. Très tôt, le mouvement populaire, préfigurant celui des canuts Lyonnais des années 1830, se manifeste contradictoirement par des prises de position corporatistes d’hostilité aux nouvelles technologies (luddisme) et par une volonté de créer de nouvelles structures de production.
Dès juillet 1789, c’est avant tout la bourgeoisie marchande qui se révolte pour récupérer les sous-sols riches en charbon monopolisés par le marquis d’Osmond et pour combattre une mécanisation venue « de l’extérieur ». Face à la constitution d’une opposition vive entre le monde de l’atelier (patrons, compagnons et journaliers) et celui du négoce, la période révolutionnaire se caractérise par un intense affrontement politique entre artisans et négociants. Les artisans s’assurèrent un rôle politique croissant, constituant même en août 1790 une municipalité « populaire » préfigurant une influence « jacobine » dominante.
Le fait majeur de cette période reste, dès 1792, la réquisition par l’Assemblée nationale de tous les secteurs de l’industrie locale, donc de l’essentiel de la ville, pour la fabrication des armes. Saint-Etienne fut d’ailleurs rebaptisée « Commune d’Armes » en l’An II.
Mais cette étatisation de l’économie locale fut combattue par les négociants qui, très liés à la place commerciale lyonnaise, abandonnèrent la production aux fédéralistes lyonnais, insurgés contre la Convention montagnarde (printemps-été 1793). L’insurrection populaire du 28 août redonna le pouvoir local aux artisans qui rétablirent le contrôle de l’Etat. Ce statut particulier fut démantelé à partir de 1795, dans un contexte d’instabilité politique, détruisant l’ensemble de l’économie locale.
Les projets de » Travaux révolutionnaires » conduits par le Jacobin Claude Boyer jusqu’à la fin de l’an III (été 1795) préfiguraient l’organisation, près des terrains occupés aujourd’hui par la place Jean-Jaurès à la rue de la Paix, en un bâtiment unique d’une manufacture d’armes éliminant les principales étapes de la division du travail, jusqu’alors répartie en ateliers géographiquement dispersés.
L’oeuvre de Dalgabio
Surtout, la période révolutionnaire posa les bases du développement de la première ville industrielle de France. L’achat des propriétés du clergé par la municipalité a permis de tracer un nouvel axe Nord-Sud Roanne/Paris et Annonay/Méditerranée matérialisé par la grand’rue actuelle.
Le plan de 1792, fondateur du Saint-Etienne moderne, établi par l’architecte-voyer Pierre-Antoine Dalgabio, prévoyait la construction d’un lotissement à l’emplacement des terrains des religieuses de Sainte-Catherine. Il n’hésita pas à faire passer la voie principale (la nouvelle route de Roanne) à travers les bâtiments du couvent, le condamnant à la démolition.
Par cette nouvelle route d’entrée dans la ville, Saint-Etienne devait être ainsi reliée directement à Paris. Et ce trajet serait prolongé par le projet d’une route vers la Méditerranée.
Au moment où la Révolution industrielle provoque l’essor des activités stéphanoises (entre 1810 et 1820), tout est ainsi en place pour que la bourgade mal dégagée de sa gangue rurale devienne en quelques décennies le coeur d’une agglomération industrielle moderne. La ville se développe alors le long du Furan, dont la force motrice fortement sollicitée est complétée par la machine à vapeur.
Au XIXe siècle, tout l’urbanisme de la ville est modelé dans la logique de ce plan. Le tracé de la nouvelle route d’Annonay prolonge la route de Roanne, même s’il faut attendre 1825 pour effectuer le raccord entre les deux par la rue Saint-Louis (aujourd’hui Gambetta). Tout aussi déterminante se révèle la décision de transférer l’Hôtel de Ville dans le nouveau lotissement, posant les bases d’un nouveau centre ville.
Saint-Etienne est désormais orientée Nord-Sud. En quelques années, la ville aura fait un quart de tour… phénomène tout à fait particulier dans l’histoire de l’urbanisme.
Le siècle de l’expansion : une « ville-champignon »
Le XIXe siècle fut celui de la formation de la plus grande région industrielle française. Les conséquences de l’Empire furent d’abord très contestables : la fabrication des armes marchait à plein rendement, mais celle du ruban fut sacrifiée par le Blocus continental.
La Restauration plaça à la tête de la ville, devenue sous-préfecture en 1800, la bourgeoisie rubanière. Sa gestion fut plus que prudente. Les municipalités successives, dénuées d’ambition, furent ainsi tout à fait dépassées par la croissance de cette « ville-champignon ». Les constructions laborieuses de l’Hôtel-de-Ville et du Palais de justice, le tracé définitif de la Grand’Rue – aux dimensions étriquées en regard du projet initial de l’architecte Dal Gabio – en sont des exemples flagrants. Le maire nommé sous la Seconde République, Heurtier, eut au contraire de vastes idées qui se concrétisèrent tout au long du siècle.
Les exploitations minières et la métallurgie utilisèrent des techniques nouvelles. Jean-Louis Jalabert inventa une machine pour rayer les canons en spirale et ouvrit des ateliers spéciaux pour la fabrication de fusils se chargeant par la culasse. En 1830, MM. Thimonnier et Ferrand, industriels à St-Etienne, déposèrent leur demande de brevet d’invention pour la première machine à coudre. Quelques années plus tard, l’ingénieur stéphanois Benoît Fourneyron inventa la turbine hydraulique. Enfin, la machine à vapeur eut, du fait de la présence de la houille dans la région stéphanoise, une influence considérable.
Le 27 octobre 1824, le gouvernement délivra la première concession minière. En 1827, ce fut la mise en service, entre St-Etienne et la Loire, à Andrézieux, du premier chemin de fer français, puis la construction de la ligne St-Etienne – Lyon. La traction à vapeur remplaça rapidement la traction animale, grâce à l’ingénieur Marc Seguin. Autrefois pénalisée par son enclavement, la région stéphanoise connut ainsi un essor économique et démographique prodigieux.
Le développement du textile, de l’armurerie, de la petite mécanique (la bicyclette à la fin du siècle), de la mine et de nombreuses industries provoqua l’immigration de milliers de travailleurs des deux sexes venus des campagnes et des départements ruraux voisins, notamment de la Haute-Loire, dans un premier temps, puis de travailleurs provenant de pays d’Europe tels l’Italie ou la Pologne.
La gravure sur métaux révéla les talents des André Galle, Louis Merley, Jean-Claude Tissot, Dupré ; la musique nous donna Massenet, la peinture José Frappa, la sculpture Antonin Moine. La littérature comparée naquit avec Claude Fauriel et Jules Janin fut le prince des critiques vers 1860.
Vers une reconnaissance politique
Il faudra cependant attendre 1855 pour que soient annexées les communes suburbaines. En 1856, la ville, qui comptait alors près de 100.000 habitants, devint le chef-lieu de Préfecture du département de la Loire. Il est vrai que l’Etat était plutôt méfiant à l’idée d’installer un Préfet dans cette ville industrielle à la vie sociale parfois agitée, ville-usine, ville-champignon, ville Far-West. Les services de Préfecture furent installés dans le bâtiment de l’Hôtel de Ville. Lequel fut bientôt surmonté d’un dôme afin de donner plus de cachet à la construction. Le bâtiment de Préfecture ne sera construit que 50 ans plus tard.
Au XXe siècle apparurent de nouvelles activités liées aux industries de transformation, aux côtés des industries traditionnelles de l’arme, de la mine, de la métallurgie et de la rubanerie sur la voie du déclin. En particulier après la Libération.
La seconde vague d’immigration – en provenance d’Europe – se poursuivit. St-Etienne atteignit 165.000 habitants en 1921 et la crise du logement perdurait, notamment à cause de l’accaparement du sol par les compagnies minières.
La création d’une université, le développement de grandes écoles, l’installation d’une maison de la culture, de la Comédie de St-Etienne, dans les années soixante, effaça progressivement l’image traditionnelle de la cité-usine.
Pourtant, la reconversion économique des années soixante-dix, qui vit surgir des industries de haute technologie et un important secteur tertiaire, ne justifie pas l’idée du déclin inéluctable des activités traditionnelles dont les produits autrefois extraits ou travaillés par les mains d’artisans et d’ouvriers stéphanois, sont aujourd’hui, importés.
En-tête : Saint-Etienne vers 1860, d’après Ogier.
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