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Naissance d’un bourg industrieux

Saint-Etienne n’a jamais été considérée comme une grande ville, à l’exemple de capitales régionales pourtant de même importance. Longtemps, les Stéphanois ont plutôt eu le sentiment de vivre dans une grande communauté, au sein de quartiers et de métiers.

Une légende significative : les métallurges

Les origines de Saint-Etienne restent obscures. Une légende rapporte l’intérêt des Romains pour le site de la vallée du Furan, propice aux activités métallurgiques. Mais son éloignement des grands axes de communications, la pauvreté de son sol et un climat rude ne le prédisposaient pas à un développement précoce.

Auguste Callet publia en 1866 un ouvrage intitulé « La légende des Gagats« . Il imagine pour la nouvelle grande ville industrielle une origine remontant à une peuplade de « métallurges » :  les  » Gagats  » (surnom des Stéphanois). Leurs huttes étaient installées sur la rive gauche de la « mère Furan » au pied de la colline du Mont d’Or, au fond d’un bois sacré. L’ensemble des villages de la vallée du Furan formait « Furania », du nom d’un dieu ancien du feu captif et du feu ouvrier : Fur. « Gagat » désignerait le minerai de terre. Par extension, le nom devint celui de l’exploitant : forgeron, métallurge, mineur.

 

Les métallurges

Les métallurges réunis et leur forge en plein air.

D’après un fusain de Pierre Chapelon, début XXe s.

La première implantation de la ville

L’occupation humaine sur le site de Saint-Etienne semble trouver son origine dans la construction du château de Saint-Priest, connu dès 1167. Du sommet du crêt, il est en effet possible de surveiller l’ensemble des points d’entrée dans la dépression de Saint-Etienne.

C’est à proximité du château, en bordure du Furan, dans une zone non marécageuse, abritée contre la colline du Mont d’Or, que s’établit la communauté villageoise. Elle se trouve alors sur une voie de communication.

L’église placée sous le double vocable de saint Etienne et de saint Laurent a été fondée au Xe ou au XIe siècle, par les Durgel, seigneurs de Saint-Priest.

Les premières traces écrites authentiques remontent au XIIe siècle et mentionnent Sanctus Stephanus de Furano – Saint-Etienne de Furan.

A cette période, en amont, est posée la première pierre de l’abbaye cistercienne de Valbenoîte, près de la route de Lyon au Puy – route du pèlerinage vers Saint Jacques de Compostelle, par Toulouse.

Le bourg paraît s’être progressivement constitué par la réunion des villages répartis sur la paroisse, au fur et à mesure des défrichements et de l’extension des activités.


Dessin de Pierre Moutin

La ville du travail

Les Stéphanois utilisèrent très tôt le charbon cueilli à même le sol. D’abord à des fins domestiques, puis pour alimenter des forges. Ils trouvèrent dans le Furan et ses modestes affluents une force motrice suffisante pour faire tourner les meules. Les eaux dépourvues de calcaire se montraient excellentes pour la trempe, ce qui permit très vite la création d’une activité préindustrielle – coutellerie, quincaillerie,… – grâce à l’exploitation des carrières de minerais.

Par le travail de son peuple d’artisans Saint-Etienne allait connaître un développement important, passant d’environ 3.000 habitants au XVe siècle à 20.000 habitants à la fin du XVIIe siècle.

Saint-Etienne à la fin du Moyen Âge

Le village est adossé à la colline du Mont d’Or avec, à ses pieds, le « Pré de la Foire » (place du Peuple). Cette place publique a été achetée par la communauté en 1410. Dans la petite enceinte construite vers 1440, au milieu de quelque 180 toitures en tuiles, s’élèvent le clocher de l’église et, plus haut, la grande « tour du Seigneur ».

On compte environ 300 feux réunis autour de deux rues principales : la grande rue publique (rue de la Ville) et la rue du marché (rue Grenette). Hors de la clôture, c’est encore la campagne. Il n’existe encore qu’un embryon de faubourg autour du Pré de la Foire.

 

Saint-Etienne vers 1445
D’après une maquette réalisée en 1850 par J.-A. de la Tour-Varan à partir d’anciens terriers. Corrigé en 1996.

Un type remarquable de Stéphanois de cette époque est le négociant Marcellin Allard (1555 ? – 1613), bourgeois entreprenant, avisé et cultivé. Il avait un bureau et un pied-à-terre à Paris et écrivait. Dans sa « Gazzette Françoise » (1605), relatant un épisode de la guerre de religions, il exprimait son opinion sur un ton rabelaisien, moquant les guerroyeurs.

La ville se compose alors du noyau ancien, fortifié au siècle précédent, mais dont les remparts sont à présent englobés dans des constructions nouvelles, par autorisation du seigneur et en contrepartie d’une redevance perpétuelle.

Sur les bords du Furan, le Pré de la Foire (place du Peuple) est le nouveau centre de la ville. C’est ici, au Nord, qu’habite Marcellin Allard, qui décrit cette place bordée « d’arbres, avec ses pierres de lavandières » comme étant un véritable Paradis terrestre ! Allard oppose déjà la modernité urbaine à l’étroitesse des rues de la ville médiévale.

Les extensions à l’Ouest se sont faites dès le début du XVIe siècle le long de la rue de Roannel (avenue Emile Loubet), et au-delà du « treyvou » (place Roanelle) sur le chemin de Saint-Rambert qui devient une « rue Taranteisy » et sur le chemin de Polignais (rue Polignais), formant le faubourg de Roannel et de Polignais.

A l’Est, le développement urbain très important se fait le long des chemins de Valbenoîte et de Chavanelle (rue José Frappa et rue Denis Escoffier), le long du chemin du pont de pierre à Rochetaillée (rue des Martyrs de Vingré), le long du chemin de la Monta (ancienne rue de Lyon), et le long de la « Violete » (square Violette), créant ainsi le faubourg d’Outre-Furan.

Saint-Etienne sous l’Ancien Régime

Au cours du XVIIe siècle, la ville s’étend peu. Par contre on reconstruit beaucoup. Conséquence de l’essor démographique, on crée une nouvelle paroisse par l’édification en 1669 l’église Notre-Dame. Après la construction de la chapelle des Minimes (église St-Louis). On assiste également à l’implantation d’établissements charitables et d’ordres religieux.

La fin du règne de Louis XIV fut une période de calamités, de chômage, de souffrances L’abbé Jean Chapelon, vicaire de la Grand’Eglise, en fit une description saisissante dans son poème rédigé en patois local « Description de la misère de Saint-Etienne en 1693« .

Dans le plan terrier de 1773, on reconnaît le vieux bourg médiéval par la trace qu’ont laissé les anciens remparts. Au-delà s’étendent les faubourgs, populaires vers l’Ouest, plus bourgeois vers l’Est aux abords de l’église Notre-Dame.

On y repère très bien l’axe de la ville Est – Ouest :

– vers l’Est, en direction de Lyon (rues P. Bérard et E. Gervais),
– vers le Sud-Est, en direction de Valbenoîte (rue Saint Jacques / des Martyrs de Vingré),
– vers l’Ouest, en direction de Montbrison (rue Tarentaize),
– vers le Sud-Ouest, en direction du Puy (rue du Puy).

En plus des établissements charitables et religieux, on peut reconnaître sur le plan l’emplacement du siège de la Manufacture Royale d’Armes (1764), à l’Ouest de la place Chavanelle. Les ateliers de fabrications sont dispersés à la fois dans la ville et sur les berges du Furan en amont (les Rives, les Molières, …).

C’est dans les faubourgs que ce sont développées les activités artisanales : fabrication des armes, travail du métal et de la soie, ébauche d’une exploitation du charbon. Cette prolifération concentre alors une population de près de 20.000 âmes.

 

L’écluse des Ursules (Furan)
Huile sur toile – Jean Seillon (1822-1904) – Collection Musées de St-Etienne
Au fond, la place du Peuple. L’observateur est placé au niveau de l’actuel Cours Victor-Hugo

Une ville corsetée par les institutions de l’Ancien régime

La ville n’en est pas moins confrontée à des problèmes cruciaux. Il s’agit tout particulièrement de l’occupation des sols de la vallée du Furan par les institutions religieuses. Celle-ci qui condamne la ville à s’étirer d’Est en Ouest. Or seuls le Nord et le Sud offraient de vastes terrains à peu près plats qui permettraient une extension plus harmonieuse.

Saint-Etienne poursuivit son essor au XVIIIe siècle. En 1722, on créa une Académie de musique et, en 1761, une société savante. Les rares poètes de la ville exprimèrent, comme aux siècles précédents, la mentalité, l’humour stéphanois, l’âme de la cité du travail. Les couplets de « La basane » (le tablier des forgerons), entre autres, décrivant « le sort malheureux » des pauvres gens, étaient encore chantés au début du XXe siècle.

Saint-Etienne exporta ses produits dans toute la France, en Europe et profita du développement du commerce colonial. L’exploitation du charbon commençait à attiser les convoitises.

La fin de l’Ancien régime se caractérise par une modification importante du contexte économique et social : introduction du métier à tisser automatisé dit « à la Zurichoise », construction du banc d’épreuve des canons de fusil. Il y eut aussi la méthode de l’abbé Poidebard, artiste-mécanicien, pour quadrupler le rendement de la force motrice hydraulique dans les ateliers. 

Cet ensemble préfigure le décollement économique du début du XIXe siècle. Pourtant, dans les années 1770, les industries métallurgiques ont subi de graves problèmes d’approvisionnement. Le prix du fer a augmenté de 40 % en quelques années. La stagnation du commerce  et la pénurie de la soie en 1787 provoquèrent de nombreuses faillites.

La ville gardait ses traits caractéristiques : absence d’une grande bourgeoisie financière et d’une noblesse. Pour tous, Saint-Etienne était la ville des artisans, cité enfumée, peu attractive sinon méprisée. Administrativement et politiquement, Saint-Etienne, seconde ville de la Généralité de Lyon, resta dépendante de Montbrison et de Lyon.

(en-tête : détail du plan de 1667)

[cite]

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